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Perturbateurs endocriniens : quels sont leurs effets sur l’environnement ?

Introduction

Historiquement, les perturbateurs endocriniens ont commencé à attirer l’attention des chercheurs dès les années 1950. Les scientifiques se sont alors alarmés d’anomalies de la fonction de reproduction (mutations sexuelles, comportements inhabituels, etc.) observées chez de nombreuses espèces animales ainsi que chez les humains. Les études écologiques ont notamment mis en évidence :

  • Des problèmes de reproduction chez les goélands liés à l’amincissement de la coquille des œufs (années 1970) ;
  • Une « masculinisation » de femelles gastéropodes au niveau des zones portuaires (années 1970) ;
  • L’altération des capacités de reproduction et de la fonction immunitaire des phoques en mer Baltique, entraînant une diminution des populations (années 1980) ;
  • Un développement anormal du pénis chez les alligators dans les lacs pollués au DDE (métabolite de l’insecticide DDT) en Floride (années 1990) ;
  • Une féminisation des téléostéens (poissons à sexes séparés) dans les eaux terrestres (rivières, lacs) et marines, avec réduction de la spermatogenèse (processus aboutissant à la formation des spermatozoïdes) et apparition d’ovocytes dans les organes sexuels mâles (années 1990).

Mais c’est l’affaire du distilbène, une hormone de synthèse, qui dans les années 1970 a fait exploser le sujet des perturbateurs endocriniens sur la scène scientifique et médiatique, alors même que ce terme n’était pas encore utilisé. En France, ce produit pharmaceutique a été très largement prescrit aux femmes enceintes entre 1948 et 1977 pour prévenir les fausses couches. Or, les études de l’époque ont révélé que l’exposition de la mère au distilbène pouvait avoir des conséquences dramatiques sur la descendance : anomalies du développement de l’appareil reproducteur, stérilité, cancers de l’appareil reproducteur chez les filles, incidence accrue de l’hypopsadie (pénis de petite taille), de la cryptochirdie (absence de descente des testicules) et des anomalies de la spermatogenèse chez les garçons. Plusieurs études récentes suggèrent même de possibles répercussions chez les petits-enfants de femmes ayant pris du distilbène (DES France, 2023).

Mais le distilbène n’est malheureusement pas le seul perturbateur endocrinien auquel nous sommes exposés. Ainsi, vous avez certainement déjà entendus que depuis plusieurs décennies, la fertilité de l’espèce humaine avait tendance à diminuer, tandis que les phénomènes de puberté précoce chez les filles et de cryptorchidies chez les garçons devenaient plus fréquents. Aujourd’hui, on sait que ces perturbations sont d’origine hormonale (= endocrinienne) et ne se limitent pas à l’appareil reproducteur, mais affectent aussi le métabolisme (problèmes d’obésité et de diabète) et les comportements neuro-développementaux.  Ces altérations du système endocrinien, très préoccupantes chez l’homme, conduisent au déclin de certaines populations animales.

Comment se définit un perturbateur endocrinien ? Quelles sont les substances chimiques concernées ? Comment ces substances agissent-elles sur les hormones et quelles sont leurs effets sur les organismes et les écosystèmes ? Autant de questions que je vous propose de creuser dans le cadre de cet article.

1. LE SYSTÈME ENDOCRINIEN ET LES HORMONES

Le système endocrinien fait référence au système hormonal des animaux (Cf. figure 1). Il est constitué de glandes qui sécrètent les hormones, comme l’hypophyse, la thyroïde, le pancréas endocrine, les ovaires et les testicules ou de cellules comme celles de l’estomac qui sécrètent la gastrine et la ghréline, celles de l’intestin qui sécrètent la sécrétine et la cholécystokinine, ou les cellules adipeuses qui sécrètent les adipokines.

Les hormones sont des molécules secrétées dans le sang qui vont agir à distance sur différents organes pour assurer le bon fonctionnement de l’organisme. Chez les invertébrés, les hormones circulent au niveau de l’hémolymphe. Le système endocrinien est donc un moyen de communication entre les cellules.

Le système endocrinien des mammifères
Figure 1 :  Le système endocrinien est l’un des principaux systèmes de communication et de régulation des fonctions corporelles chez les animaux – Crédit : Institut national de la recherche scientifique du Québec (INRS) et Centre intersectoriel d’analyse des perturbateurs endocriniens (CIAPE), 2020 – Licence : Tous droits réservés

Les cellules émettrices, dites endocrines, sécrètent des hormones de natures chimiques diverses (peptides ou polypeptides, stéroïdes, ou des hormones dérivées de la tyrosine) qui agissent à très faibles doses (de 10-12 à 10-9 mol/L) sur des cellules cibles.  La liaison entre l’hormone et la cellule cible se fait au niveau d’un récepteur cellulaire.

Qu’est-ce qu’un récepteur cellulaire ?
Le récepteur à une hormone peut être assimilé à une serrure où vient se loger la clé qui est l’hormone. La liaison hormone-récepteur conduit à la réponse biologique. Il existe deux familles de récepteurs : les récepteurs membranaires (l’hormone ne pénètre pas dans la cellule) et les récepteurs nucléaires qui agissent sur le génome (l’hormone pénètre dans la cellule).

2. QU’EST-CE QU’UN PERTURBATEUR ENDOCRINIEN ?

2.1 Définition

En juillet 1991, la conférence de Wingspread dans le Wisconsin, rassemblant de nombreux scientifiques d’horizons divers, se révèle être un tournant décisif. C’est là qu’émerge pour la première fois le terme de « perturbateurs endocriniens », accompagné du commentaire suivant : « Nous sommes certains qu’un grand nombre de produits chimiques fabriqués par l’homme déversés dans l’environnement ainsi que certains produits naturels, ont le potentiel de perturber le système endocrinien animal, y compris celui des êtres humains ».

Mais c’est au début des années 2000 que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) apportera une définition officielle de ce terme. Un perturbateur endocrinien (PE) est alors défini comme un xénobiotique (c.à.d. une substance qui provient de l’extérieur de l’organisme, que l’on peut qualifier également de substance exogène) ou comme un mélange de xénobiotiques qui altère le (ou les) fonction(s) du système endocrinien et provoque par conséquent des effets néfastes sur la santé d’un organisme, de sa descendance ou de ses sous-populations (OMS/PISSC, 2002).

Selon l’Union européenne (règlement (CE) n° 1107/2009 relatif aux produits phytopharmaceutiques et règlement (UE) n° 528/2012 relatif aux produits biocides), trois conditions sont nécessaires pour qu’une substance puisse être qualifiée de PE. Elle devra (i) produire un effet négatif et (ii) avoir un mode d’action qui altère les fonctions du système hormonal. Mais surtout, (iii) il faudra démontrer que cet effet négatif est une conséquence directe de ce mode d’action.

Cette définition est considérée comme trop restrictive par les scientifiques et les ONG car pour de nombreuses substances suspectées d’être des PE, il s’avère très complexe de mettre en évidence le mode d’action.  En outre, les effets apparaissent souvent sur le long terme, parfois très longtemps après l’exposition. On sait désormais que l’exposition à de faibles concentrations d’un PE peut causer des effets irréversibles ou non et décalés dans le temps. Pour ajouter à la complexité, ces effets peuvent n’apparaître que lorsque l’exposition a eu lieu à des moments précis du développement de l’organisme (cf. partie 3.2 Fenêtre de vulnérabilité).  C’est ainsi que l’on a découvert que l’exposition des embryons à des produits mimant les hormones naturelles entraînait des anomalies irréversibles de l’appareil reproducteur.

Vous comprenez alors pourquoi il est difficile d’affirmer qu’une substance chimique donnée est (ou n’est pas) un PE.

10 critères pour caractériser les perturbateurs endocriniens (chez l’humain)
Si le terme “perturbateur endocrinien” est largement utilisé dans la presse et par le public, les scientifiques ne sont pas vraiment d’accord sur ce qu’est in fine un perturbateur endocrinien (Chèvre, 2021). Ainsi, en 2019, un groupe d’experts en endocrinologie issus de différents pays a publié une liste de 10 critères pour caractériser les PE (La Merrill et al, 2019), de manière similaire à ce qui se fait pour définir des substances cancérigènes. En 2021, des auteurs ont montré sur la base d’une revue de littérature que l’herbicide glyphosate remplissait 8 des 10 critères mentionnés, et devrait donc être classé comme PE au côté du bisphénol A, des phtalates et des PCBs (Munoz et al, 2021). Mais tous ces critères sont définis pour l’être humain : s’ils peuvent s’appliquer pour les vertébrés, ce n’est pas le cas pour les invertébrés ou pour les plantes (Chèvre, 2021).

2.2 Les mécanismes d’action des perturbateurs endocriniens

Comme illustré sur la figure 2, un PE peut interférer avec chacune des phases de la « vie » d’une hormone naturelle :  la synthèse (production) de l’hormone (1), sa libération dans le sang, son transport (2), sa liaison au récepteur cellulaire (3), son action, son métabolisme (transformation) et/ou son élimination (4). Du fait de la concentration très faible à partir de laquelle les hormones agissent, une légère perturbation de l’une de ces phases peut altérer la réponse cellulaire et entraîner des effets délétères parfois irréversibles sur l’organisme ou sa descendance.

Modes d'action des perturbateurs endocriniens sur les phases de la vie d'une hormone
Figure 2 : Un perturbateur endocrinien peut affecter les différences phases de la « vie » des hormones naturelles : 1) Synthèse, 2) Transport, 3) Liaison au récepteur cellulaire, 4) Métabolisme (transformation et élimination) – Crédit : Dorothée River – Licence : Tous droits réservés

Les PE participent aussi aux modifications épigénétiques du génome (voir encart), conduisant à des effets transgénérationnels. La transmission transgénérationnelle se produit lorsque la descendance (F1) transmet ensuite ces effets à des descendants qui n’ont pas été exposés à l’événement traumatique initial (ici, l’exposition à un PE), au moins jusqu’aux « petits-enfants » (F2) et aux « arrière-petits-enfants » (F3).

L’effet de PE a été mis en évidence sur un certain nombre d’hormones, telles que les androgènes (hormones associées aux caractères mâles chez les vertébrés – ex. :  la testostérone), les œstrogènes (hormones associées aux caractères femelles – ex. : l’œstradiol) et les hormones thyroïdiennes (ex. : la thyroxine – T4- et la triiodothyronine – T3).

Epigénétique : de quoi parle-t-on ?
L’épigénétique se penche sur une couche d’informations complémentaires qui influence l’utilisation des gènes par une cellule, sans modifier leur séquence d’ADN. Ces modifications épigénétiques sont réversibles et peuvent être transmises lors des divisions cellulaires. Contrairement aux mutations génétiques, elles n’affectent pas directement la séquence nucléotidique de l’ADN. Les facteurs environnementaux peuvent induire des modifications épigénétiques. Ces changements sont matérialisés par des marques biochimiques apposées sur l’ADN ou sur les protéines qui le structurent.

2.3 La dose ne fait pas le poison

Courbe dose-réponse monotone
Figure 3 : Courbe théorique représentant une relation de type monotone entre la dose/concentration d’une substance et son effet sur l’organisme

Vous connaissez peut-être le célèbre paradigme de Paracelse selon lequel « rien n’est poison, tout est poison, seule la dose fait le poison ». Selon ce dicton, la toxicité d’une substance est nulle à « faible dose » puis augmente avec la dose jusqu’à atteindre un plateau. Cette relation entre la dose de la substance et l’effet associé (réponse) peut être représentée par une courbe dose-réponse sigmoïde dite monotone (figure 3).

Si la relation monotone entre la dose d’un polluant et son effet est le cas le plus fréquemment observé, les PE échappent à la règle. Ils peuvent en effet agir à de très faibles doses au même titre que les hormones ou bien à très fortes doses, conduisant à des courbes dites non monotones, en U, en U inversé, ou à des courbes biphasiques (figure 4).

Courbes dose-réponse de perturbateurs endocriniens
Figure 4 : Exemples de courbes non monotones (courbe en forme de U, en forme de U renversé et courbe biphasique)

2.4 Dans quels produits trouve-t-on des perturbateurs endocriniens ?

Les études scientifiques ont permis d’identifier de nombreux PE de nature et d’usage très variés :

  • des hormones naturelles telles que l’estrone (E1), l’estradiol (E2) et l’estriol (E3) ;
  • des substances naturelles d’origine végétale (« phytoestrogènes ») telles que la génistéine (soja) et le coumestrol (trèfle, luzerne, etc.) ;
  • des substances chimiques fabriquées par l’homme telles que des biocides (ex. :  tributylétain -TBT), des tensioactifs (ex. : alkylphénols, PFAS), des filtres UV (ex. : benzophénones), des pesticides (ex. : DDT), des agents plastifiants (ex. : phtalates, bisphénols) et des retardateurs de flamme (ex. : PBDE) ;
  • des produits pharmaceutiques comme l’éthinylœstradiol (EE2 : principe actif de la pilule contraceptive) et les traitements contre les cancers hormono-dépendants (cancers des testicules, de la prostate, du sein, de l’utérus, des ovaires) dont le tamoxifène.

3. LES ORGANISMES SONT EXPOSÉS DÈS LA PÉRIODE EMBRYONNAIRE

3.1 Des perturbateurs endocriniens dans le liquide amniotique et dans les œufs

Chez les mammifères, les PE présents dans le sang maternel se retrouvent dans le liquide amniotique (figure 6). Ces mêmes molécules sont aussi retrouvées dans les œufs de reptiles, d’amphibiens et de poissons.

Des perturbateurs endocriniens dans le liquide amniotique et les oeufs
Figure 6 : Des perturbateurs endocriniens dans le liquide amniotique – Crédit image : BruceBlaus de Wikipedia – Licence : CC BY-SA 4.0

3.2 La fenêtre de vulnérabilité

Fenêtre de vulnérabilité aux perturbateurs endocriniens
Figure 7 : Fenêtre de vulnérabilité chez les mammifères

Pendant son développement, l’organisme est exposé à de nombreux PE. L’action d’un PE dépend non seulement de sa dose mais aussi du stade de développement où l’exposition survient. En effet, les hormones agissent à des moments précis du développement, et c’est pendant ces moments que l’organisme est sensible aux déséquilibres hormonaux, et donc aux PE. On parle de « fenêtres de vulnérabilité » (figure 7). Un PE peut avoir des conséquences directes et perturber le développement mais peut aussi conduire à des changements permanents silencieux qui ne se manifesteront qu’à l’âge adulte (mutations sexuelles, comportements sexuels inhabituels, stérilité chez de nombreuses espèces, cancers hormonodépendants, démences séniles chez l’Homme). Chez les mammifères et les vertébrés ovipares (qui se reproduisent avec des œufs), le stade embryonnaire, dont le développement est sous contrôle hormonal, est la période où les organismes sont les plus vulnérables aux PE.  Néanmoins, la période fœtale chez les mammifères, le stade juvénile ou larvaire chez les autres vertébrés sont aussi sensibles aux PE (notamment pour le développement du système nerveux et la métamorphose qui sont sous la dépendance des hormones thyroïdiennes).

4. EFFETS DES PE SUR LA SYNTHÈSE DES HORMONES

La synthèse des hormones peut être inhibée ou stimulée par certains PE. Ainsi, l’aromatase (Cyp19), enzyme à l’origine de la synthèse de l’œstradiol (hormone femelle) à partir de la testostérone (hormone mâle) (figure 8), est une cible bien connue de certains PE. Comme nous allons le voir avec les exemples ci-après, une modification de son activité peut entrainer des effets « masculinisants » ou « féminisants » chez les organismes exposés.

L'aromatase, la testostérone et l'oestradiol
Figure 8 : L’aromatase, enzyme de la famille du cytochrome P450, transforme la testostérone en œstradiol

4.1 L’atrazine, un herbicide qui féminise des grenouilles mâles

L’atrazine est un herbicide couramment utilisé aux États-Unis et dans le monde. Il est interdit en Europe depuis 2004 en raison de sa toxicité avérée. Souvent utilisé dans la culture du maïs, il contamine les eaux souterraines et de surface. Chez les amphibiens, l’atrazine induit une augmentation de l’activité de l’aromatase et diminue de ce fait la concentration de testostérone (figure 9). Les études montrent ainsi que l’exposition à de faibles doses d’atrazine transforme les grenouilles mâles en castrats ou en femelles (Tyrone et al, 2002).

Les effets de l'atrazine sur les grenouille
Figure 9 :  Effet de 46 jours d’exposition à l’atrazine sur la concentration de testostérone chez des mâles matures de Xenopus laevis (graphique réalisé d’après Tyrone et al, 2002) – Crédit photo : Ben Rschr de Wikipedia – Licence : CC BY 2.5

4.2 Le tributylétain (TBT), un biocide qui masculinise des femelles de gastéropodes marins

Le tributylétain (TBT) est une substance présente dans les peintures antifouling, largement utilisée au XXème siècle sur les coques de bateaux. Désormais interdit d’usage en France, il était destiné à empêcher la prolifération d’organismes vivants sur les coques qui ralentissait les bateaux, entraînant une augmentation de la consommation de carburants. Du fait de ses effets environnementaux et de sa rémanence (persistance) dans l’environnement, le TBT est une des substances prioritaires surveillées dans les eaux au niveau européen dans le cadre de la Directive cadre sur l’eau. En effet, des études ont montré qu’il provoquait l’apparition d’organes sexuels mâles (un pénis et un canal déférent) chez les gastéropodes femelles présentes dans les ports ou sur les trajets maritimes des bateaux. Ce phénomène appelé « imposex » est le résultat d’une inhibition de l’aromatase par le TBT : l’aromatase cesse de convertir la testostérone en œstradiol, provoquant ainsi une augmentation du taux d’hormones mâles chez les gastéropodes femelles. Il existe plusieurs stades de « masculinisation » en fonction de la concentration de TBT dans le milieu marin. Chez la femelle du pourpre (Nucella lapillus), les différents stades de masculinisation ont été bien identifiés (figure 10):

  • Stade 1 : Apparition de l’ébauche d’un pénis derrière le tentacule oculaire droit ;
  • Stade 2 : Développement d’un canal déférent près de la papille génitale ;
  • Stade 3 : Pénis qui s’allonge et se prolonge dans la partie proximale du canal déférent (vas deferens) ;
  • Stade 4 : Fusion du canal déférent et du pénis qui s’est allongé ;
  • Stade 5 : Les cellules du canal défèrent prolifèrent autour de la papille génitale ➠ obstruction de son ouverture ;
  • Stade 6 : Avortement des capsules d’œufs de la capsule glandulaire.
Imposex chez le pourpre à cause du PBT
Figure 10 : Les différentes étapes du développement de l’imposex – Crédit : Huet et al., 2008 – Licence : tous droits réservés

Des doses infimes de TBT (0,1 ng/L) peuvent induire l’imposex comme par exemple chez Ocinebra aciculata (Oelmann et al, 1996) et des doses très faibles (2,4 ng/L) peuvent conduire à la stérilité totale des femelles (Schoyen et al, 2019). Ces stades sont analysés sur Nucella lapillus comme bioindicateur des taux de TBT dans l’environnement. On utilise alors la taille relative du pénis (RPSI – Relative Penis Size Index) des femelles ainsi que les séquences de formation du canal déférent (VDSI – Vas deferens Sequence Index) (Bryan et al, 1986).

4.3 Les effets de l’insecticide DDT sur les oiseaux et les alligators

Le DDT (dichlorodiphényldichloroéthane), insecticide de la famille chimique des organochlorés, a été intensément utilisé à partir du début de la deuxième guerre mondiale contre les insectes ravageurs des cultures et les insectes porteurs de maladies (figure 11) (INERIS, 2007).

DDT et perturbation endocrinienne
Figure 11  Publicités pour l’utilisation du DDT comme insecticide

Cependant, des effets toxiques très importants ont été démontrés vis à vis des populations aquatiques et terrestres dans les régions régulièrement traitées par ce pesticide pour la démoustication. Prenons deux exemples.

Le premier exemple nous emmène en Floride, dans le lac Apopka, et est directement en lien avec la synthèse hormonale. Dans les années 1990, on constata une diminution importante du nombre d’alligators et une augmentation des mâles présentant un micropénis et diverses anomalies des testicules (Guillette, 1994). Conjointement, l’analyse des sédiments du lac révéla leur contamination par des pesticides organochlorés, notamment le DDT et son produit de dégradation, le DDE (dichlorodiphényldichloréthylène). Les recherches montrèrent que le DDE se trouvait à des niveaux 10 à 20 fois plus élevés dans le sang des alligators de ce lac que dans celui des animaux des lacs voisins. Cette forte concentration sanguine de DDE a provoqué une diminution de la concentration de testostérone à l’origine de la diminution de la taille du pénis et des anomalies des testicules.

Le second exemple concerne les oiseaux et est cette fois lié à une perturbation plus globale. Selon différents auteurs, le DDT est en partie responsable du déclin sévère des populations européennes et nord-américaines d’oiseaux piscivores (mangeurs de poissons) et des oiseaux de proie, résultat d’un amincissement de la coquille des œufs (Hickey, 1968 ; Ratcliffe, 1970 ; Peakall, 1970). En effet, le DDT, ingéré à travers la consommation de proies (poissons, oiseaux, rongeurs), empêche la formation normale de la coquille d’œuf. Celle-ci est parfois si fine qu’elle se casse lors de la couvée.

Bien qu’interdit depuis les années 1970 dans les pays occidentaux, on retrouve encore aujourd’hui du DDT dans les sols et les eaux du fait de sa faible biodégradabilité.

5. EFFETS DES PE SUR LE TRANSPORT DES HORMONES

Le signal véhiculé par les hormones est codé en concentration d’hormones. La manière dont circule une hormone dépend de sa nature chimique. Une hormone hydrophobe (c’est-à-dire insoluble dans les solvants polaires comme les milieux aqueux) ne peut pas circuler librement dans le sang. Par exemple, les hormones stéroïdiennes (dont les hormones sexuelles comme la testostérone et l’œstradiol) et les hormones thyroïdiennes (T3 et T4) sont hydrophobes. Pour circuler dans le sang, elles doivent donc s’associer à des protéines de transport (également appelées « carriers ») telles que la transthyrétine (protéine de transport des hormones thyroïdiennes) ou la SHGB (Sex Hormone Binding Globulin).

L’effet physiologique des hormones dépend de la concentration d’hormone libre et non de la concentration totale des hormones car seule l’hormone libre peut sortir des capillaires (petits vaisseaux) et agir sur les tissus cibles. Les hormones ne sont pas sécrétées à des taux constants. Ainsi, la liaison des hormones à des transporteurs peut contribuer à maintenir l’homéostasie (équilibre) du système endocrinien.

Or, les PE peuvent interférer sur la liaison hormone-transporteur, en se plaçant au niveau du transporteur à la place de l’hormone naturelle. Par exemple, les PCB peuvent entrer en compétition avec les hormones thyroïdiennes vis à vis de la transthyrétine chez le rat contribuant à augmenter la concentration d’hormones thyroïdiennes libres dans le système circulatoire.

6. EFFETS DES PE SUR LA LIAISON ENTRE LES HORMONES ET LEURS RÉCEPTEURS CELLULAIRES

6.1 Quand les perturbateurs endocriniens se font passer pour des hormones…

Les PE peuvent imiter les hormones naturelles et venir se fixer sur leurs récepteurs cellulaires. Même si nous avons vu que les PE pouvaient agir à différents niveaux, cette liaison aux récepteurs cellulaires des hormones est le mécanisme d’action le plus fréquent. De par cette liaison, les PE peuvent réguler l’expression de gènes cibles soit en les activant (on parle d’effets agonistes), soit en les inactivant (effets antagonistes).

Qu’est-ce que l’expression des gènes ?
L’expression des gènes, également appelée expression génique, désigne l’ensemble des processus par lesquels l’information stockée dans un gène est transcrite en ARN, puis traduite en protéines. Ces protéines ont un rôle prépondérant dans le fonctionnement de l’organisme.

6.2 Les effets agonistes (ou « effets mimétiques »)

Un PE peut mimer l’activité biologique d’une hormone naturelle. Dans ce cas, sa liaison à un récepteur cellulaire engendre une activation de celui-ci, conduisant à une réponse biologique inappropriée (ex. : production d’une protéine au mauvais moment ou en excès) (figure 12).

Effets agonistes des perturbateurs endocriniens
Figure 12 : Un perturbateur endocrinien peut activer un récepteur cellulaire et engendrer une réponse biologique inappropriée ou excessive

Exemple 1 : augmentation de la synthèse de vitellogénine dans des poissons en aval de stations d’épuration

La vitellogénine est une protéine à l’origine de la constitution des réserves nutritives chez les vertébrés ovipares. Sa synthèse est réalisée dans le foie, sous le contrôle de l’hormone œstradiol. La vitellogénine est transportée par le sang jusqu’aux ovaires où elle s’accumule dans les œufs. Dans les cours d’eau, on retrouve à l’état de traces des molécules mimant les hormones œstrogènes (on parle de xénoestrogènes ou oestrogènes étrangers) telles que des pesticides organochlorés, des plastifiants (ex. : bisphénol A) et des produits pharmaceutiques dont l’éthinyl-oestradiol (EE2), principe actif de la pilule contraceptive. La concentration de ces contaminants est généralement supérieure en aval immédiat des rejets de stations d’épuration. Les caractères oestrogéniques de certains effluents britanniques ont été étudiés. L’exposition des poissons mâles à des xéno-oestrogènes entraine la synthèse de vitellogénine à un degré comparable à celui des femelles (figure 13). Dans cette étude britannique, les eaux usées britanniques se révèlent être la principale source de contamination oestrogénique (Purdom et al, 1994).

xéno-oestrogènes
Figure 13 : Mode d’action des xéno-oestrogènes sur la synthèse de vitellogénine au sein de la cellule. En se fixant sur les récepteurs à l’œstradiol, les xéno-oestrogènes activent les différentes formes des récepteurs à l’oestradiol (RE) qui se dimérisent (s’associent par paires). Les dimères (les paires) se lient à l’ADN au niveau des éléments géniques de réponse à l’oestradiol (ERE) localisés au niveau du promoteur (région de l’ADN située à proximité d’un gène indispensable à la transcription d’un gène) du gène de la vitellogénine et induisent sa transcription (D’après Massad et al, 1999)


Article rédigé par Vivien Lecomte, mis à jour le 3 janvier 2012 – Ecotoxicologie.fr : tous droits réservés

EN SAVOIR PLUS…

PNRPE.fr : Site du Programme National de Recherche sur les Perturbateurs Endocriniens
ANSES.fr : Site de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail – page dédiée aux perturbateurs endocriniens
Fiche ONEMA : Les perturbateurs endocriniens dans l’environnement aquatique, novembre 2009
Colloque Perturbateurs endocriniens et biodiversité : colloque du 28 avril 2011, organisé par le Réseau Environnement Santé et WWF.
Edlists.org : ce site répertorie la liste des substances reconnues comme étant des perturbateurs endocriniens dans la réglementation européenne sur les produits chimiques.

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